- Qu’est-ce qu’il a ce chien ?  questionna Ulf, le tenancier.

- Je reconnais ce chien, c’est Buba, le chien de Somba.  Les enfants sont en danger …

Cétautimatok convint avec son ami qui l’avait recueilli que celui-ci se rendrait  à dos de mule jusqu’au village de Karol. Le chien le guiderait. C’était ce qui était le moins risqué. On ne se méfierait pas d’un vulgaire manant équipé d’un filet de pêche qui se rendait sur la côte. Il s’efforcerait de lui rendre compte de toutes les observations qu’il pourrait lui faire. Ulf prit juste le temps de nourrir le chien et de le désaltérer puis ils se mirent en route. Ils avaient parcouru cinq lieues quand ils parvinrent sur le site du village détruit. Il était passé midi. Les cavaliers venaient juste d’abandonner  leurs recherches. Ulf les avaient  vu de loin reprendre la route de Sartilleo. Il s’était dit que le chemin était maintenant libre. Il se laissa guider par le chien. Celui-ci le conduisit directement  près du petit lavoir, jusqu’à la cabane des chèvres.  Alors, il vit Buba se diriger vers un petit bosquet. Dissimulé  dans le feuillage, il devinait des formes qui s’agitaient. Il s’approcha précautionneusement. Des cavaliers en embuscade ?... Non, c’était Cavale et Brunpoil entourés des deux autres cobs dissimulés ici par Galfand pour protéger sa fuite. Par miracle, ils avaient échappé  à la perspicacité des soudards de Crotoy qui s’étaient concentrés le long de la côte.       

Alors surgit du bois un diable tout ébouriffé qui l’interpella d’une voix suraigüe :

- Laisse ces chevaux, ils sont à moi !

C’était Jacquouilles qui se dressait devant Ulf, brandissant un long bâton pour le menacer.

- Holà, tout doux mon jeune ami.

Alors Jacquouilles reconnut Buba. Il s’agenouilla pour caresser son chien en l’entourant de ses bras. Le golden retriever lui donnait de grand coups de langue. Bouleversé par autant d’émotions, le petit berger ne parvenait pas à retenir ses larmes. Tout attendri, Ulf caressa la tête  du garçon :

- Je te ramène chez nous, tu vas y retrouver un de tes amis: celui  que les hommes de Crotoy ont blessé. Il va mieux. Vous vous cacherez chez nous jusqu’à ce que tout se calme…







Pendant tout ce temps, Galfand se réveillait péniblement sur le sol humide d’un des cachots de la capitainerie d’Avranches. On l’avait jeté là comme un vulgaire sac. Il lui semblait que sa tête allait exploser. Il tenta de rassembler tous les souvenirs de cette funeste journée et d’organiser un peu ses pensées qui affluaient en tous sens.  Il revoyait l’envol des enfants sur la mer, les cavaliers qui l’entouraient, la rencontre avec Crotoy et puis plus rien, un grand trou noir. Qu’était-il advenu du berger ? Avait-il réussi à fuir. En tous cas, il se retrouvait seul dans cette geôle.

Pendant toute sa chevauchée de retour à Avranches, le bouillonnant  Crotoy, enrageait. Les enfants s’étaient envolés, et quel envol ! Jamais de toute sa vie le capitaine n’avait observé un tel prodige. Il n’était pas loin de croire qu’il avait été le jouet d’un tour diabolique. Encore ce fichu sorcier de Somba.   Cela signifiait pour lui que tous ses plans pour contrôler l’évêque étaient ruinés. Il avait très peu de temps pour tenter de rétablir une situation qui pouvait tourner  à la catastrophe. Ce chasseur expérimenté savait qu’il lui fallait d’abord retrouver tout son calme et surtout qu’il analyse froidement  le nouveau jeu qu’il allait falloir mener pour parvenir à ses  fins. Tout n’était pas si négatif. Il ramenait Galfand, encore inconscient sur son cheval. Il allait lui faire porter le chapeau au vu d’Allibert. C’était le seul responsable qui s’était emparé des enfants de Scissy dont il avait négocié le prix avec un groupe de survivants au raz de marée.  Ces anciens sujets du royaume de Kap et d’Else s’engageaient à contrecarrer les projets de l’évêque de sa conquête des trois monts. Ils allaient revendiquer pour les petits héritiers des seigneurs de Scissy les privilèges de leur fief. Pour Crotoy, l’objectif se clarifiait maintenant.  Il allait convaincre l’évêque d’activer la construction de la grande caraque pour que lui, Crotoy, son fidèle capitaine puisse débarquer sur les îles afin d’y réduire toute sédition et par la même occasion récupérer les petits princes et la princesse de Scissy, en prime pour satisfaire  l’évêque d’Avranches.

L’affaire était jouable. Pour gagner du temps, il fallait focaliser  l’attention de l’évêque sur le procès de Galfand et aussi sur la pendaison des héritiers de Somba. Mais une ombre planait encore sur tous ces aimables projets. Il y avait toujours la menace du peuple des louviers toujours cachés quelque part dans la lande Lessay. Il fallait absolument les réduire. Peut-être obtiendrait-il des informations à ce sujet de la part de Galfand. Mais il en doutait. Il aurait bien voulu organiser lui-même sa propre  razzia au beau milieu de ce territoire éloigné.