- Fais-moi confiance, ils ne périront pas Galfand. Et avec eux renaîtra la maison  de l’Ouest, et les princes de Scissy qui n‘oublieront pas le sale tour de pendard que tu leur as joué. Tout  comme  le massacre  que tu as perpétré ici aux marches de la forêt de Scissy provoquant l’exil des louviers. Je  te conseille de libérer maintenant les descendants de Somba si tu ne veux pas finir à ton tour au bout d’une corde…

Un violent coup frappa messire Galfand alors que contemplant la mer, il tournait encore le dos à Crotoy. Il s’effondra immédiatement ayant perdu connaissance. Immédiatement le capitaine ordonna à ses hommes de le saisir. Ils se jetèrent tous sur lui pour le ficeler comme un saucisson et le jeter sur le dos d’un cheval.

Entre la joute verbale à laquelle se livrait le ménestrel et la fuite éperdue du ballon juste au-dessus des flots, le petit berger avait un instant échappé à l’attention des reîtres du capitaine. D’autres occupés à maintenir les chevaux, s’étaient détournés du sort de cet  autre protagoniste. Jacquouille profita de cet instant d’inattention pour se couler dans le taillis épineux d’une haie qui courait le long de la falaise, un buisson de prunus aux épines acérés interdisant toute poursuite à cheval. C’était le terrain privilégié des chèvres du berger. Il le connaissait comme sa poche.

A ce moment la pluie redoubla d’intensité.

- Rattrapez le berger ! hurla soudain Crotoy réalisant soudain qu’une de ses proies lui échappait encore…

Trop tard. Nul n’était capable de suivre sous ces fourrés en bordure de falaise le petit berger qui, au prix de risques insensés dévalait la falaise. Il lui fut bien envoyé des bordées de flèches mais, avec la distance qui se creusait, et tout ce vent, aucun projectile n’atteignit heureusement sa cible. Le petit boiteux, malgré son infirmité avait réussi à creuser l’écart avec ces hommes de guerre.

Crotoy, rendu furieux par ce double échec, remontant sur sa monture, jura :

- Quatre hommes avec moi pour ramener le ménestrel à Avranches. Les autres, formez une battue depuis les hauts. Ramenez-moi ce pourceau de berger, mort ou vif ! J’offre une prime de 5 livres à qui me ramènera sa tête.

Eperonnant  sa monture il s’éloigna sur la route de Sartilleo poursuivi par ses sbires et un cheval  avec  le corps du ménestrel en travers de la selle. Buba depuis ce temps avait disparu.

Les  enfants dans leur nacelle vivaient un voyage dantesque. Trempés, la face brûlante et le dos glacé, ils entouraient le brûlot, surveillant sans arrêt les soubresauts de la marmite qui projetait parfois  une braise ardente à l’intérieur du ballon. Heureusement elle  retombait la plupart du temps d’ans son âtre.

 


Les quelques bûches que Leïf avait précautionneusement entreposées au fond du panier achevaient de se consumer. C’était les dernières. Quand ils tentaient de regarder par-dessus leur épaule, ils apercevaient au loin la ligne des îles, mais elles leur paraissaient encore si loin qu’ils désespéraient d’y arriver un jour. Leur position assise sur le bord du panier leur paraissait intenable, les pieds arc-boutés les uns dans les  autres pour mieux se retenir, les bras tendus vers le haut,  leurs mains sciées par des cordelettes que les embruns avaient chargé de sel et qui les brûlaient douloureusement. A chaque instant ils manquaient de lâcher prise et de basculer dans les flots qui défilaient en dessous-d’eux .    

A un moment, Flodoard qui se retournait ne vit plus rien, il pensa sa fin venue puis en bon petit novice, il se mit à débiter :

Ave, María, grátia plena,
Dóminus tecum.

Benedícta tu in muliéribus,
et benedíctus fructus ventris tui, Iesus.

Sancta María, Mater Dei,
ora pro nobis peccatóribus,
nunc et in hora mortis nostræ.

Amen.

Alors entre deux nuages, on vit apparaître par une trouée dans les nuées, une courte bande claire ou paressait un furtif rayon de soleil. On se rapprochait de l’île.

Per se mit à le rabrouer gentiment:

- Tu vois Flodoard, on est plus si loin, ça doit être  grâce à tes prières …

Mais, son enthousiame était trop optimiste. Leur aéronef, perdant sa chaleur perdait aussi sérieusement de l’altitude. Ils en étaient presque à raser les flots et parfois même leur nacelle en osier frôlait l’écume des moutons qui couronnait les vagues. Alrun l’aînée décida de jouer son va-tout: elle se dit quétant donné le peu de combustible qui achevait de se consummer dans le grand faitout, il était grand temps d’utiliser toute la magie de Somba. Alors qu’elle avait jusqu’à présent utilisé la poudre noir avec parcimonie, elle décida de jeter tout ce qui  restait du contenu du flacon dans l’âtre de leur machine au risque que l’enveloppe s’enflamme.