Sur des piédestals métalliques, le flambeau des torches, dégoulinantes de graisse, envoyait au ciel une fumée noire, devançant l’âcre odeur des chairs consummées.
On aligna les prisonniers face au tribunal afin que toute la foule puisse profiter au maximum du désarroi des hommes et de la détresse de la jeune femme face à la sentence qui devait délivrer leurs âmes. Alors commença le jugement :
Premier, Crotoy énuméra des faits et gestes odieux commis par les criminels sans présenter aucune preuve de leurs réalisations
Robert de Vaumoisson lut d’une voix sans timbre l’acte d’accusation concernant les Louviers
Le premier Chanoine détailla les actes d’hérésie, de sorcellerie et d’idôlatrie reprochées au Menestrel.
Il conclut en déclarant que Galfand avait formellement rejeté toute espèce d’abjuration s’entêtant dans son erreur et revendiquant sa faute.
Leur sort était scellé …
Alors, Allibert, évêque d’Avranches se leva en s’appuyant sur sa crosse et devant tous ses fidèles, prit ainsi la parole :
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Depuis tout ce temps les enfants de Scissy ont sans nul doute péri dans la grande mare liquide battue par la Tarasque. Puisse St Mikaêl nous venir en aide afin de la réduire . Amen !
Et il fit un signe de croix en direction de la foule pour la bénir. Certains s’agenouillèrent. Puis il reprit son exhortation en direction cette fois de Galfand, selon les formules consacrées :
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Quitte ce serviteur de Dieu !
Certains cherchaient à se faire voir, d’autres plutôt à se fondre dans la foule. Les grandes, les petites, les gros, les maigres, les estropiées, les bossus, les laids, les beaux, les très moches et les bellâtres, les plus délurées et les plus gourdes formaient une masse mouvante difficilement contenue par une haie de gens d’armes qui avaient fort à faire pour tenir libre l’espace réservé aux officiels. Ceux-
Le service d’ordre de la cérémonie était confié à son fidèle lieutenant Bertrand tout carapaçonné dans une armure étincelante. Comme la fois d’avant, la foule se fendit pour laisser passer le petit cortège de diacres et de chanoines précédé du prélat rondouillard s’appuyant sur sa crosse et revêtu de sa plus belle chasuble verte et d’autres étoles chamarrées. Il menait toujours son train à petits pas essoufflés comme s’il voulait faire durer le plaisir.
Et toujours portant la traîne, les deux petits enfants de choeur au visage de cire, les yeux cernés et le regard infiniment triste, indifférents aux nombreux spectateurs.
En fin les trois laïcs fermaient la procession solennelle. Alors, depuis la ruelle de la capitainerie on entendit monter dans un silence relatif, le roulement d’une charrette sur laquelle étaient juchés les condamnés. A la différence de Somba, sur les quatre condamnés parmi lesquelles se trouvaient la jeune Ipona, un seul, le plus grand et le plus maigre était couvert de chaînes. Mais comme Robert de Vaumoisson leur avait évité l’ordalie, ils étaient tout à fait vaillants et conscients de leur exécution publique. Et, ils portaient tous beau, impressionnant la foule par leur extraordinaire dignité. Ipona, la jolie fille surtout, peu marquée par les affres de sa captivité, était resplendissante et d’une beauté peu commune. La brune louvière contemplait du haut de son charriot la foule sidérée avec toute l’incandescence d’un noir regard de braises. La rumeur, d’habitude nourrie de tous les quolibets s’étouffa tout à fait.
Sur la gauche, face à la table des tribuns, se dressait la galerie des potences. Au pied de l’escalier pour accéder à l’estrade, les acolytes cagoulés de Clément Jouënne se tenaient droits comme des satues. Sur la droite, tête nue et crâne rasé, au pied de son bûcher, le maître bourreau arrangeait méticuleusement l’ordonnance de ses fagots.