Jacquouilles tant bien que mal s’efforçait de maintenir la verticalité de l’édifice que les rafales de vent tentaient de coucher. Tous étaient couvert de sueur malgré l’air frais du matin.

On pouvait maintenant entendre les cavaliers qui s’étaient dirigés facilement vers l’endroit du décollage guidés par la petite colonne de fumée  qui se découpait toute noire dans un ciel maintenant obscurci de nuages.  Quelques centaines de mètres et ils seraient sur eux. Buba se mit à aboyer férocement.

- C’est le moment, les enfants, accrochez vous à la nacelle. La moindre bourrasque de vent peut maintenant tout emporter. Toi  d’abord  Per. Et puis ensuite Alrun de l’autre côté. Tu monteras après Leï !...

A ce moment Flodoard arriva en courant. Alrun l’appela :

- Monte ici Flodoard. Tu ne vas pas rester là !...

L’enfant s’approcha et s’accrocha désespérément entre Per et Alrun.  Leïf jeta sa dernière bûche dans la marmite au risque de la faire déborder.  La chaleur autour du brasier était à peine tenable. La petite nef semblait sur le point de décoller.  Leïf s’accrocha à son tour, jeta ses deux pieds dans le panier et  les bras tendus en extension pour tirer sur les cordelettes .

Encore deux cent mètres et les premiers soudards chargeant sabre au clair seraient sur eux. Subitement, Buba prit la fuite eu hurlant comme un loup comme si toute la scène l’avait rendu fou. Le prochain coup de vent allait les emporter. Galfand ordonna:

- Dès que ça décolle, Jacquouilles, tu lâches ta perche et tu  pars avec eux, en t’accrochant comme tu peux.

Le vent avait soudain forci et la pluie se mettait à tomber. Galfand devait hurler pour se faire entendre.  Alors il se rapprocha une dernière fois d’Alrun, sortit un gros flacon rempli d’une  poudre noire , l’ouvrit avec les dents puis en versa une bonne pognée dans le feu qui aussitôt se mit à fuser :

- Alrun, prends ce flacon et si tu vois que l’altitude du ballon baisse trop sur la mer, verse un peu de cette poudre sur le feu. Mais, attention ! Pas trop !... Sinon l’enveloppe prendrait feu.

Et aussitôt, comme par magie, le ballon se mit à décoller.

- Vas-y, à ton tour Jacquouilles, saute

Jacquouilles lacha sa perche qui tomba en arrière repoussée par le ballon bondissant. Jacquouilles s’accrocha désespérément… Et l’aéronef retomba sur le sol.

- On est trop lourd , Galfand, on ne peut pas partir … cria Alrun d’une voix perçante qu’on pouvait à peine percevoir à travers les mugissement du vent  …

Les cavaliers n’étaient plus qu’à cent mètre et on entendit distinctement leurs hurlements de rage, tout proches,  portés par le vent.

   


   

  

 






-    

  


 






Alors, d’un coup, Jacquouilles  lâcha sa prise et s’écrasa violemment  sur le sol. Un grosse bourrasque survint soudain emportant d’un coup le ballon bien au-delà de la falaise au-dessus de la mer.

Galfand écarquillait les yeux  terrifiés à l’idée qu’il s’écrase sur les rochers ou  dans les eaux.

- Adieu Galfand, adieu Jacquouilles!… eurent encore le temps de s’écrier les enfants. Emporté vers le Nord-Ouest on pouvait voir  leur nacelle toute chahutée par les rafales. Ils s’éloignaient rapidement.

- Adieu les enfants ! répondit Galfand les larmes aux yeux…

Quelques archers qui avaient mis pied à terre s’efforçaient d’atteindre el ballon afin de le crever. Mais ils étaient déjà bien trop loin. Soudain , Galfand entendit une voix glaciale monter juste derrière son dos.

- Alors c’est toi, le chevalier qui me nargue et me poursuit de ta hargne depuis tout ce temps. Retourne –toi que je te vois enfin ..

Le ménestrel se retourna lentement et de toute sa stature toisa le capitaine :

- Oui c’est bien moi, Crotoy, nous nous retrouvons enfin …

- Galfand !...

Crotoy reconnut immédiatement l’homme qu’il avait en face de lui malgré la blessure qui lui avait balafré le front.  

- Tu n’es donc pas mort ? Où étais-tu donc passé pendant tout ce temps ?

Le ménestrel ne répondit même pas; il se retourna pour suivre des yeux la navigation des enfants qui paraissait être l’unique chose qui le préoccupait. Ils s’éloignaient maintenant sérieusement ballottés par les élément. Il lui semblait que plus ils s’éloignaient, plus ils perdaient de l’altitude se rapprochant dangereusement de la surface de l’immense étendue liquide qui recouvrait maintenant toute l’antique forêt de Scissy.

Les autres soudards observaient, sidérés, le minuscule aeronef qui se frayait un chemin entre les courants d’air juste  au-dessous des nuages,  se demandant bien par quel  prodige il ne s’écrasait dans l’eau et volait poussés par le vent , comme un cormoran qui rase les eaux.

- Pourquoi tenter de me reprendre ces enfants ? Est-ce  pour les laisser périr noyés dans l’océan ?