Quand je revins au château
On me dit bientôt
Vous trouverez du changement
Depuis vingt-cinq ans
Papier timbré, huissiers terribles
Saisies arrets du percepteur
Murs délabrés, trucs impossibles
Oh! la la! Oh! la la! quel malheur
Mais sur les marches du perron
Un seul miteux chantait en rond


Déception


Rien n'est au Duc ici Monsieur rien n'est au Duc
Rien n'est au Duc rien n'est au Duc
Elle lui a bouffé son fric la p'tite Nana
Ah oui vraiment Monsieur c'est fou ce que le Duc n'a
Le Duc n'a rien, Monsieur, nos bas sont rapiécés
Nos culottes sont toutes froissées
Nous avons faim, nous sommes capables de tout
Et s'il n'y a rien mais rien du tout
Il faudra bien qu'on lui fauche sa perruque
Et nous boufferons les poils du Duc

14 mai 2020

Déconfinement et personnels soignants:

 Hommage aux  personnels soignants

Je mourrai d'un cancer de la colonne vertébrale

Ça sera par un soir horrible

Clair, chaud, parfumé, sensuel

Je mourrai d'un pourrissement

De certaines cellules peu connues

Je mourrai d'une jambe arrachée

Par un rat géant jailli d'un trou géant

Je mourrai de cent coupures

Le ciel sera tombé sur moi

Ça se brise comme une vitre lourde

Je mourrai d'un éclat de voix

Crevant mes oreilles

Je mourrai de blessures sourdes

Infligées à deux heures du matin

Par des tueurs indécis et chauves

Je mourrai sans m'apercevoir

Que je meurs, je mourrai

Enseveli sous les ruines sèches

De mille mètres de coton écroulé

Je mourrai noyé dans l'huile de vidange

Foulé aux pieds par des bêtes indifférentes

Et, juste après, par des bêtes différentes

Je mourrai nu, ou vêtu de toile rouge

Ou cousu dans un sac avec des lames de rasoir

Je mourrai peut-être sans m'en faire

Du vernis à ongles aux doigts de pied

Et des larmes plein les mains

Et des larmes plein les mains

Je mourrai quand on décollera

Mes paupières sous un soleil enragé

Quand on me dira lentement

Des méchancetés à l'oreille

Je mourrai de voir torturer des enfants

Et des hommes étonnés et blêmes

Je mourrai rongé vivant

Par des vers, je mourrai les

Mains attachées sous une cascade

Je mourrai brûlé dans un incendie triste

Je mourrai un peu, beaucoup,

Sans passion, mais avec intérêt

Et puis quand tout sera fini

Je mourrai.

Boris Vian

Je voudrais pas crever

Jean-Jacques Pauvert éditeur, 1962